Je me rappelle ce soir où j’ai ôté ma blouse blanche de médecin pour la dernière fois.
C’est vrai que depuis quelques mois, l’enthousiasme qui me guidait depuis des années, s’était progressivement estompé. La fatigue sans doute… l’age peut être, mais pas que .
J’ai vidé mon casier, j’ai vidé aussi mon sac de cuir que j’avais fais faire à un cordonnier pendant mes études de médecine .
Comme moi il avait vieilli, tous les deux nous étions un peu usé sur les bords. .
Je l’avais recousu déjà deux fois mais il m’avait accompagné pendant 40 ans. Certes, jeune doctoresse, comme disaient mes vieux patients, j’avais opté pour un autre sac plus grand, plus fonctionnel d’autant qu’à l’époque je faisais beaucoup de visites à domicile. Ce sac je l’ai toujours mais il a vieilli encore plus vite ; il faut dire que mon activité de l’époque l’avait bien malmené.
Un nouveau sac en textile noir, moderne, plein de poches et de fermetures- Eclair l’a remplacé un jour. C’est amusant rétrospectivement comme il correspondait bien à la médecienne (vieux terme désuet que j’affectionne beaucoup) que j’étais devenue sans m’en rendre compte. Toujours pressée, je roulais très vite en voiture, avec des horaires de travail que « les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ».
Il était loin le temps où je prenais le temps de faire un petit tour au jardin de mes patients les plus attachants. Je ne partais jamais sans quelques fraises ou framboises parfois une salade ou deux courgettes. Dès le début mes patients savaient que je ne « buvais jamais quelque chose » et très vite ces offres partant sûrement d’un bon sentiment cessèrent.
Mais le jardin… ils savaient que je refusais jamais un bouquet de mimosa au printemps ou de dahlias en automne .
Puis les vieux s’en allèrent progressivement, la commune s’étoffa de nouveaux venus, elle devint plus « dortoir »… les lotissements sortirent de terre et remplacèrent les 3 à 4 constructions qu’il y avait par an .
Les commerces de la commune périclitèrent cependant.
Les 35 heures modifièrent beaucoup la vie.
Les gens n’avaient plus le temps de rien. Les demandes de rendez-vous urgentes devinrent la règle (bien peu l’étaient en fait), nous avions une société de gens pressés.
La généraliste que j’étais pour ces nouveaux arrivants devint corvéable à merci surtout de 20H à 8 heures. Sinon le pédiatre, le gynéco, le rhumato, l’ORL, le gastro et le psy valorisaient un statut social pourtant bien précaire. Pour les urgences de nuit, comme au Canada les épiciers de quartiers, les généralistes étaient devenus des « dépanneurs ».
Longtemps j’essayais de conserver des consultations humaines de ce pourquoi j’avais fait médecine,
Le médecin de famille… qu’elle belle image d’Epinal dont tout monde rappelait les qualités mais dont plus personne ne voulait .
Pensez donc un médecin qui soigne mes parents, mes beaux-parents et mon mari… certains de mes confrères devinrent des « médecins copains. »
Mon professeur de psychiatrie commença son premier cours en disant :
« Le médecin n’est ni un parent ni un ami ni un amant »
-rires dans l’amphi; j’ai mis moi-même des années à comprendre la profondeur et la sagesse de ces propos inauguraux .
Nous vivions une époque moderne et l’acte médical avec la bénédiction des syndicats d’alors et des ministères de la santé devint une prestation de service standardisée, protocolisée , filiérisée etc etc .
Avec les années et les mises en gardes syndicales, je renonçais à poser des stérilets, à pratiquer la petite chirurgie. Cependant le samedi après midi je continuais à garder des consultations longues pour ceux que la vie avait malmenés, pour les mamans qui n’en pouvaient plus et leurs cortèges de souffrance morale.
Le médecin généraliste moderne n’a plus le temps d’écouter, il adresse au psychiatre.
Au nom d’une prétendue Santé publique, on stigmatisa les médecines un peu différentes, on mis des milliards d’euro dans des plans cancer et prévention institutionnelle.
Les médecins furent encouragés à tout dématérialiser et ils bénéficièrent de primes variées et parfois déontologiquement étonnantes .
La médecine devenait une affaire dominée par les laboratoires et lobbies en tout genre.
Elle devint « altruiste », mot très à la mode mais l’altruisme décidé en haut sans des années d’éducation parentale est comme un Archange posé sur un édifice sans fondation, c’est une fausse bonne idée.
Et puis cette notion d’altruisme décrétée me gêne un peu car demain une maman ayant des doutes sur une pratique « obligatoire » sera stigmatisée si facilement avec la bénédiction des bons docteurs. Les sociétés au cours des siècles ont adoré avoir des boucs-émissaires .
Ma médecine, apprise en consultation auprès de mes Maîtres , qu’est-elle devenue, avec ces étudiants tous issus de filière S. Les bons, les matheux.
Exit, les littéraires et tous ces élèves moyens en tout dont je suis moi même issue. Exit le doute, Exit la compassion… Exit l’irrationnel, Exit le spirituel, il nous faut des preuves, docteur ! La médecine basée sur des preuves vous dis-je !
Loin, loin , sont les phrases de mes vieux maîtres qui parlaient d’art médical, de colloque singulier, de sacerdoce.
Moi même j’étais épuisée, la société changeait trop vite pour moi, un jour j’ai dévissé ma plaque.
J’ai rapidement trouvé un hôpital d’où le casier vidé du départ . J’y ai rencontré des hommes et des femmes dévoué(e)s . Il le fallait car à l’hôpital défile chaque jour,chaque nuit, toute la misère du monde.
Un dimanche soir, ce fut la dernière garde, j’ai rendu ma blouse, vidé mon casier et quitté le service pour rejoindre la cohorte de femmes et d’hommes anonymes qui, s’ils n’ont pas toujours guéri , ont soulagé souvent et ont surement essayé de réconforter.(emprunté à A. PARE)
Comme moi ils ont soigné leur prochain le mieux possible.
Radegonde.
Oh ! Comme tout cela est juste !
Hélas. …
Ce texte est magnifique et révélateur du malaise actuel de quelques jeunes médecins.
Merci Hélène,votre commentaire me touche beaucoup.
Radegonde